« Fakarouni » de Asma Ben Aissa à la galerie Selma Feriani : Quand la mémoire s’inscrit dans le fil

Les images des mains tricoteuses de sa maman qui l’ont accompagnée, une photographie familière et affective, sont derrière son intérêt pour le fil et le travail artisanal. Un fil conducteur qui la suivra en grandissant, la menant, au fil du temps, vers d’autres fils provenant de différents types de tissus (toiles de jute, lin, velours, satin…) ou de cordes, qu’elle choisira comme l’on choisit, précieusement, ses couleurs et ses pinceaux, en fonction de leur texture, consistance et nuances de couleurs.
La Presse — La galerie Selma Ben Feriani abrite du 9 juillet au 30 août une exposition personnelle de Asma Ben Aissa, intitulée «Fakarouni». L’artiste célèbre l’intimité du geste et la charge affective profondément enracinée dans des savoir-faire artisanaux, où chaque point devient un acte de mémoire et de résistance.
Dans son nouveau travail du textile, Asma s’inspire des ballades iconiques d’Oum Kalthoum. Ses œuvres tissent ensemble mémoire, chant et transmission de l’héritage. Par la broderie et le fil, elle donne une forme tangible aux récits oraux, aux savoirs intergénérationnels et aux émotions collectives.
Ce travail, qui est à la croisée de l’artisanat et de l’expérimentation plastique, a émergé à la faveur de rencontres entre l’artiste et des artisanes tunisiennes — les Maalma, détentrices d’un savoir ancestral souvent relégué à l’invisible. Au fil de ces échanges, les mains s’activaient, les fils se nouaient et les souvenirs refaisaient surface, portés parfois par les voix d’Oum Kalthoum en arrière-plan.
«Cette chanson m’accompagne depuis les années 70 », confie l’une d’elles. De ces mots partagés, de ces silences habités, Asma Ben Aïssa tisse une œuvre à la fois intime et suspendue, où la mémoire s’inscrit dans le fil et le geste devient récit. Née en 1992 à Bizerte, Asma Ben Aissa vit et travaille à Tunis.
Artiste émergente mais déjà confirmée, elle a exposé, à différentes occasions : en groupe, entre autres, à la galerie de la Bibliothèque nationale de Tunis, à Yosr Ben Ammar Gallery à Gammarth, à Elbirou à Sousse, à la galerie «Violon Bleu» à Sidi Bou Saïd, mais aussi en solo. Elle a pris part à des résidences à Marrakech, Londres, et Riyad.
Sa pratique artistique s’articule autour du paysage — non seulement en tant que sujet visuel ou géographique, mais comme construction esthétique et émotionnelle. Son travail interroge les notions d’habitat, de transmission, ainsi que l’architecture des espaces intérieurs et extérieurs.
Elle explore les transformations sociales et le patrimoine local, à la croisée des environnements bâtis et de l’expérience vécue. Les images des mains tricoteuses de sa maman qui l’ont accompagnée, une photographie familière et affective, sont derrière son intérêt pour le fil et le travail artisanal.
Un fil conducteur qui la suivra en grandissant, la menant, au fil du temps, vers d’autres fils provenant de différents types de tissus (toiles de jute, lin, velours, satin…) ou de cordes, qu’elle choisira comme l’on choisit, précieusement, ses couleurs et ses pinceaux, en fonction de leur texture, consistance et nuances de couleurs.
Elle les manipulera, telle une laborieuse araignée, pour les plier, les étirer, les filer, les inciser (pour y ouvrir des fenêtres sur le monde), y retenir la lumière, les teinter parfois pour apporter sa propre chromatie, les coller, etc…
Elle dit aborder le textile avec un intérêt accordé au mouvement qui va de l’intérieur vers l’extérieur, à ces ouvertures dans le temps pour aller d’un temps subjectif vers des temps autres, pluriels, et au paysage et à sa représentation : un paysage nuancé et multiple où le langage plastique est en perpétuel mouvement.
Des plis, des fibres et des interstices de la matière tissée sans ou avec support, se révèlent à nous, comme dans une chambre noire sous l’effet d’un révélateur, ses tableaux-tissus aux jeux de nuances, de reliefs et de lumières. Asma Ben Aissa fait sien le temps, le met à son service, se soumettant des fois à ses exigences pour sculpter sa matière et le dompte des fois encore, le filant pour ne pas le laisser filer…
Un travail à découvrir!