
Souvent perçue comme une menace pour l’emploi, l’IA pourrait pourtant représenter une aubaine, si la Tunisie parvenait à valoriser ses atouts dans ce domaine.
La Presse — L’irruption de l’IA sur le marché du travail ne sera pas sans conséquences. Dans les pays industrialisés, elle gagne du terrain, empiétant surtout sur les industries de pointe. Son impact socioéconomique interpelle : entre accroissement de la performance économique et montée d’un chômage de masse, il est difficile de trancher.
Un dilemme qui a d’ailleurs été mis sur la table lors d’une rencontre organisée hier dans le cadre des Petits déjeuners de l’économie — une initiative portée par le projet Savoir Eco, financé par l’Union européenne et mise en œuvre par « Expertise France », en collaboration avec le Programme d’appui aux médias en Tunisie (Pamt2).
Le débat, tenu sous le thème « Réforme du marché du travail en Tunisie : quel équilibre entre protection sociale et performance économique à l’ère du numérique ? », a réuni des représentants des médias, des experts et des entrepreneurs. Il a permis d’aborder plusieurs thématiques, dont l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché de l’emploi tunisien.
Intervenant sur le sujet, Amine Chouaieb, vice-président de la Chambre des jeunes dirigeants (CJD), a mis en évidence deux idées principales : d’un côté, la nécessité de réfléchir à l’avenir de l’emploi à l’ère de l’IA, et de l’autre, le potentiel de la Tunisie à se positionner sur cette nouvelle chaîne de valeur.
Citant Elon Musk, qui a un jour affirmé que les pays et les entreprises devront envisager la mise en place d’un revenu universel en réponse au chômage de masse provoqué par l’IA, Chouaieb a appelé à une réflexion sur l’avenir du marché de l’emploi. Un tsunami qui, selon lui, n’épargnera probablement pas la Tunisie.
« L’IA va aussi impacter les gens qui ne sont pas diplômés, parce qu’il y a des emplois moins qualifiés. Les employés les plus impactés seront ceux dont la tâche est à très faible valeur ajoutée et donc automatisable. Aujourd’hui, il est clair que l’IA va avoir un impact sur cette catégorie d’employés, notamment sur les métiers du call center, juridique simple, ceux de la comptabilité, et autres.
On le voit déjà aujourd’hui dans nos entreprises, cette transformation commence à prendre forme : il n’y a plus de compte rendu, les emails sont automatisés … On commence à le voir », a-t-il souligné dans une déclaration accordée à La Presse.
La formation des ingénieurs, statisticiens et mathématiciens, un atout pour la Tunisie
Mais, comme toute destruction créatrice, l’IA va permettre aussi l’émergence de nouveaux métiers. Dans ce sens, le jeune entrepreneur a évoqué la notion d’« employé amélioré » : un employé conscient des limites de l’IA, mais qui l’utilise pour exceller là où elle échoue. L’IA peut également entraîner un autre aspect positif : la création de plus en plus de métiers à forte valeur ajoutée qui vont être, par contre, sous tension.
« L’IA aura un impact positif sur ceux qui se préparent à cette transformation. La Tunisie, qui forme un grand nombre d’ingénieurs, peut miser sur les métiers à très forte valeur ajoutée, comme les statistiques ou les mathématiques. Elle doit s’y préparer, tant sur le plan énergétique que numérique, avec des data centers et des investissements massifs », a-t-il ajouté. Chouaieb a également souligné que la Tunisie peut devenir un playground pour développer des compétences, des algorithmes et des connaissances exportables à l’international.
Il cite d’ailleurs le dernier classement africain, dans lequel la Tunisie se positionne à la 2e place en matière d’IA sur le continent, comme un indicateur de ce potentiel.
« On a vu émerger des start-up IA. La Tunisie, grâce aux ingénieurs qu’elle forme et aux talents qu’elle fait émerger, peut rayonner dans ce domaine. Mais pour cela, il faut d’abord construire notre propre data, la préparer, créer une souveraineté sur nos informations afin de la valoriser nous-mêmes et ne pas dépendre des IA étrangères », a-t-il affirmé.
Il a ajouté que face à la course effrénée à l’IA que se livrent la Chine, l’Europe et les États-Unis, la Tunisie doit savoir se positionner sur cette chaîne de valeur, non pas uniquement en matière de capacité de calcul, mais aussi en matière d’organisation et de valorisation de données. D’après lui, les Tunisiens peuvent également se distinguer sur des métiers où aujourd’hui il y a un désert technologique et sur lesquels ils peuvent être très compétitifs.