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Grève des jeunes médecins : Au-delà de la grève, un appel à repenser le système

  • 4 juillet 17:10
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Grève des jeunes médecins : Au-delà de la grève, un appel à repenser le système

Derrière la colère des jeunes médecins en grève se dessine un malaise plus vaste, un besoin urgent de sens, de reconnaissance et de perspectives. Si la crise actuelle perturbe les soins, elle ouvre aussi un espace, celui d’un débat profond sur l’avenir du système de santé tunisien. La sortie de crise, plus que jamais, passera par une parole libérée, une écoute sincère, et un projet commun.

La Presse — Au moment même où les hôpitaux publics sont paralysés par la grève, le Président de la République, Kaïs Saïed, a reçu mardi 1er juillet 2025 le ministre de la Santé, Mustapha Ferjani. Depuis le Palais de Carthage, le Chef de l’État a plaidé pour l’élaboration urgente d’un nouveau cadre juridique garantissant les droits et la dignité des médecins, du personnel paramédical et de l’ensemble des professionnels de la santé.

Rendant hommage aux compétences médicales tunisiennes, Kaïs Saïed a salué des talents « inestimables, qu’aucune monnaie ne peut évaluer ». Le Président a également réaffirmé l’urgence de consacrer concrètement le droit à la santé comme un droit humain et constitutionnel, insistant sur la nécessité d’une réforme en profondeur, notamment dans les régions défavorisées. Et de conclure : seuls des mécanismes justes, accompagnés d’une vraie reddition des comptes, pourront traiter les maux structurels du pays.

Un boycott stratégique et des accusations graves

A l’issue d’une série de mouvements et de négociations inabouties, depuis le mardi 1er juillet, environ 7 000 médecins internes et résidents ont entamé une grève générale dans tous les établissements hospitaliers publics. Une mobilisation d’ampleur, initiée par l’Organisation tunisienne des jeunes médecins (Otjm), qui dénonce la dégradation continue des conditions de travail, le manque de transparence dans les affectations de stage et l’absence de reconnaissance statutaire du corps médical en formation.

Pour rappel, le cœur du conflit repose sur le boycott du processus de sélection des centres de stage. Les jeunes médecins dénoncent de graves irrégularités dans l’attribution des postes, notamment dans des spécialités sensibles comme la cardiologie ou la gynécologie. Dans une lettre ouverte datée du 27 juin, l’Otjm évoque des délégations effectuées sans procuration, des autorisations délivrées sans vérification, et le non-respect du classement académique. Elle dénonce également la prolongation abusive de certains stages et les pressions exercées sur les grévistes.

En réponse, le ministère de la Santé a publié un communiqué rappelant que les médecins ayant déjà choisi leur affectation doivent rejoindre leurs nouveaux postes dès le 1er juillet. Ceux qui n’ont pas participé à la procédure — y compris les spécialistes en médecine de famille — sont tenus de rester dans leurs centres actuels.

Une population partagée  

Cette grève n’est pas sans effet sur les usagers des hôpitaux. Les services publics de santé sont perturbés, suscitant des réactions contrastées. Certains citoyens dénoncent une entrave à leur droit aux soins, tandis que d’autres comprennent le malaise des jeunes médecins et saluent l’effort minimal qu’ils continuent d’assurer.

Ce mouvement, d’abord largement soutenu, commence toutefois à provoquer un malaise plus diffus. Nombreux sont ceux qui y voient le retour d’un corporatisme exacerbé, hérité des années postrévolutionnaires. 

La tentation de l’exception, un isolement malvenu

Pour transcender cette crise, laquelle trouvera probablement une issue – comme l’espèrent tous les Tunisiens-, que veulent exactement les jeunes médecins ? Travailler dans les conditions de la Suède ? Être rémunérés comme en Norvège ? Évoluer dans des structures hospitalières ultramodernes comme au Danemark ? Le problème n’est pas la légitimité de ces aspirations.

Le problème, c’est l’illusion de pouvoir s’extraire du contexte national. Pourquoi les jeunes médecins devraient-ils bénéficier d’un traitement à part ? Et quand bien même ce ne serait pas que l’État tunisien refuse de répondre à vos revendications – c’est, pour le dire plus crûment, qu’il ne le peut pas. Les ressources sont limitées, les urgences multiples, et la marge d’action est étroite. Dans ce contexte, la réponse ne peut venir d’un rapport de force, mais d’une responsabilité partagée.

On entend souvent l’argument selon lequel les médecins partis en France vivent dans de meilleures conditions. C’est oublier la réalité ; surcharge de travail, hôpitaux engorgés, burnout, manque de reconnaissance… L’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs. Et surtout, en France comme ailleurs, la qualité des soins ne repose pas uniquement sur les salaires ou les bâtiments modernes, mais sur une organisation solidaire, un système cohérent, un sens collectif du service public.

Un débat nécessaire, mais dans quel cadre?

La Tunisie a indéniablement besoin de réformer son système de santé. C’est une urgence nationale. Mais cette réforme ne naîtra ni de grèves à répétition ni d’un bras de fer stérile avec l’État. Elle exige un dialogue structuré, une vision partagée, et un engagement commun à bâtir une solution au service de tous.

Les jeunes médecins ne peuvent réduire leur combat à une logique sectorielle. Ils ne doivent pas s’extraire de la communauté nationale, mais s’y inscrire avec exigence et responsabilité. Leur mobilisation ne peut devenir un rejet de l’effort collectif, car c’est précisément de cet effort que dépend le salut du secteur public.

La santé n’est pas un enjeu individuel ni un privilège réservé à quelques-uns. C’est un bien commun, un droit fondamental, un pilier du contrat républicain. Et sa préservation exige que chacun dépasse ses frustrations, quitte ses logiques de repli et participe à la reconstruction d’un système juste, solidaire et durable. Refonder notre système de santé, c’est répondre à une question plus large : dans quel pays voulons-nous vivre ? Un pays où l’on soigne sans compter, où l’on forme sans mépriser, où l’on travaille sans s’épuiser, ou bien un pays qui sacrifie ses jeunes talents et néglige ses malades ? La réponse ne peut être que collective. C’est ensemble, ou pas du tout.

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