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Émotion nationale : Comment éviter d’autres tragédies

  • 1 juillet 17:10
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Émotion nationale : Comment éviter d’autres tragédies

Alors que la saison estivale ne fait que commencer, les plages tunisiennes sont déjà endeuillées par une série de noyades tragiques. Parmi elles, la disparition bouleversante de la petite Mariem, trois ans, emportée au large à Kélibia. Un drame de trop, qui révèle des failles alarmantes dans notre système de secours. L’heure n’est plus aux simples appels à la vigilance, mais à un véritable sursaut national.

La Presse — Soliman, Kélibia, Mahdia… En l’espace de quelques jours seulement, les plages tunisiennes ont été le théâtre de drames à répétition. Le 29 juin, les unités de la Protection civile ont repêché les corps de deux jeunes hommes à Soliman, dans le gouvernorat de Nabeul.

Originaires de Grombalia, ils s’étaient noyés la veille, emportés par une mer agitée et des vents violents. La veille, une adolescente de 17 ans avait, elle aussi, perdu la vie sur la même plage, happée par les courants.

À Mahdia, le même dimanche, une jeune femme de 19 ans a été retrouvée morte noyée dans une zone rocheuse non surveillée de la corniche. Cette même zone avait été le théâtre d’un autre drame quelques jours plus tôt, qui avait coûté la vie à trois membres d’une même famille, originaires de Moknine.

Mais c’est à Kélibia qu’un drame particulièrement bouleversant a ému tout un pays : la disparition en mer de la petite Mariem, trois ans, emportée au large alors qu’elle jouait sur une bouée gonflable. 

Le témoignage poignant d’un oncle

Invité de l’émission «Sbeh Ennes» sur Mosaïque FM, l’oncle de la fillette disparue révèle les circonstances du drame. Il raconte que la famille se baignait près du rivage avec deux bébés, dont Mariem, attachée à sa bouée à l’aide d’un fil par sa mère. Soudain, un souffle de vent violent a surpris tout le monde. La mer, jusqu’alors d’un calme parfait, s’est brusquement agitée. Même les affaires posées sur le sable se sont envolées. Le fil qui retenait Mariem s’est détaché et la bouée s’est mise à dériver au large.

Alerté par les cris de son épouse, le père de la petite s’est jeté à la mer pour tenter de la rejoindre. Il a nagé près d’un kilomètre et demi, jusqu’à apercevoir sa fille encore attachée à sa bouée, ballottée par les vagues. Oussema l’a rejoint en mer pour lui prêter main-forte. Le père est resté plus de quarante minutes dans l’eau, buvant la tasse à plusieurs reprises, risquant lui-même de se noyer.

Ce qui bouleverse le plus la famille, c’est le sentiment qu’une intervention rapide aurait pu changer le cours des choses. Selon l’oncle, un bateau de la Protection civile se trouvait à dix minutes à peine de la zone, mais aucune intervention n’a été lancée immédiatement. Le temps perdu s’est avéré fatal.

Il insiste sur le fait que les parents n’ont commis aucune erreur, contrairement à ce que certains commentaires sur les réseaux sociaux ont pu laisser entendre. «Jusqu’au dernier instant, mon frère parlait à sa fille, en pleine mer, en tentant de la sauver», dit-il, la voix brisée. «Aidez-nous à la retrouver», a-t-il supplié, rappelant au passage que les plongeurs eux-mêmes manquaient d’équipement pour mener efficacement les recherches.

Des messages de prudence, mais encore trop peu d’actions

Chaque été, les noyades se multiplient en Tunisie. Certaines années, les chiffres sont alarmants. Le ministère de la Santé a d’ailleurs publié un communiqué dès le lendemain de ces drames, appelant à la plus grande vigilance, en particulier de la part des familles. Il rappelle que la noyade n’est pas toujours visible ou bruyante, et qu’il faut surveiller les enfants en permanence, y compris en piscine. Il est également recommandé de privilégier les plages surveillées, de respecter les drapeaux de signalisation et d’apprendre à nager aux enfants dès le plus jeune âge.

Mais si ces rappels sont utiles, ils ne suffisent plus. Le drame de Mariem révèle au grand jour des failles structurelles préoccupantes dans la gestion des urgences en mer. Il ne s’agit pas seulement de comportement individuel, mais aussi d’un défaut d’équipement et d’organisation.

Des défaillances structurelles qui coûtent des vies

Aujourd’hui, ni la Protection civile ni le Samu ne disposent d’hélicoptères. Or, dans le cas de Mariem comme dans bien d’autres, un hélicoptère aurait pu repérer la bouée plus rapidement, larguer une bouée de sauvetage, voire extraire la fillette. Les plages tunisiennes, en particulier celles à forte affluence, ne sont pas toutes équipées de maîtres-nageurs, de zodiacs ou même de moyens de communication efficaces. En mer, chaque minute compte. Et l’absence d’une capacité d’intervention rapide peut faire la différence entre une vie sauvée et une vie perdue.

Le manque de coordination entre les différents corps de secours, le sous-équipement chronique des plongeurs, l’absence de station météo fiable sur les plages : tout cela compose un paysage à haut risque, où la mer devient, trop souvent, un piège.

L’heure d’un sursaut national

Il est temps que la Tunisie prenne la mesure de ces tragédies répétées. Ce n’est pas une fatalité. D’autres pays méditerranéens ont su, grâce à des investissements ciblés et une coordination efficace, réduire considérablement le nombre de noyades. La Tunisie, elle aussi, peut le faire.

Il est impératif de doter la Protection civile d’au moins deux hélicoptères capables d’intervenir rapidement sur les zones côtières, et d’acquérir un hélicoptère médicalisé pour les urgences vitales. Il faut aussi équiper les plages sensibles en zodiacs, en maîtres-nageurs professionnels, et en balisages clairs.

La mise en place d’un centre national de coordination des secours en mer permettrait d’éviter les lenteurs actuelles et de déclencher des interventions dès les premières minutes.

Ces mesures ont un coût, mais elles sont finançables. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou d’autres bailleurs de fonds internationaux proposent des crédits à taux préférentiels pour renforcer les services publics dans les pays en développement. Encore faut-il que ces questions soient traitées comme prioritaires.

Pour que la mer cesse d’engloutir nos enfants

L’été, en Tunisie, devrait être ce moment d’insouciance où les enfants rient dans les vagues, où les familles partagent un pique-nique sur le sable, où la mer apaise et rassemble. Mais cet été, encore une fois, elle a arraché des vies, brisé des familles, laissé des plages silencieuses derrière les cris.

On pense à Mariem, trois ans, emportée sous les yeux de ses parents, dans une bouée devenue cercueil flottant. On pense à son père, nageant à bout de souffle, parlant à sa fille, la gardant en vue jusqu’au bout, impuissant. On pense à toutes ces mères qui rentrent seules, avec un maillot vide dans le sac.

Ce ne sont pas des faits divers. Ce sont des blessures ouvertes. Des appels à l’aide. Et ils nous engagent tous. Il faut plus qu’un communiqué, plus qu’une recommandation. Il faut du courage politique, des moyens concrets, des priorités claires. La mer n’est pas coupable. Elle est ce qu’elle est : belle, vaste mais imprévisible. À nous d’être à la hauteur.

Pour Mariem. Pour tous ces enfants que la mer a engloutis. Pour ceux que nous pouvons encore protéger. Pour que la prochaine vague n’emporte pas, une fois de plus, ce que nous avons de plus cher.

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