Le Festival de musique symphonique « Les Nocturnes d’El Jem » revient cette année pour sa 38e édition du 12 juillet au 16 août 2025. Alliant l’héritage symphonique et une ouverture sur de nouveaux styles, la programmation reflète un subtil équilibre entre ambition artistique et réalités organisationnelles. Mabrouk Layouni, directeur du festival, nous en dit plus dans cet entretien.

La Presse — Est-ce que le programme que vous avez proposé reflète vraiment ce que vous souhaitiez faire ou plutôt ce que vous avez pu réaliser avec les moyens disponibles ?
Ce n’est pas entièrement notre choix. Plusieurs facteurs ont influencé la programmation dont les contraintes de planification, le temps dont nous disposons et, bien sûr, les ressources financières. Nous avons opté pour une alternance entre spectacles tunisiens et étrangers en faisant de notre mieux pour intégrer un maximum d’artistes tunisiens.
En ce qui concerne les spectacles étrangers, vous savez combien leur organisation peut être complexe. Les procédures sont lourdes et les coûts très élevés, notamment pour le transport aérien et l’hébergement. Le festival se tient pendant la haute saison et les prix des services doublent d’année en année. Les subventions, par contre, stagnent depuis des années.
Il faut énormément d’effort et de temps pour constituer les dossiers de demandes de subventions et la procédure est complexe. C’est un véritable parcours du combattant.Certains spectacles étrangers ont été financés en devises, d’autres sont venus dans le cadre de coopérations internationales. En résumé, nous avons travaillé avec les moyens disponibles qui ne sont pas toujours garantis en totalité et varient d’une année à l’autre. Cela reste souvent incertain jusqu’à l’approche du festival.
Est-ce que vous pouvez nous donner une idée sur vos principales sources de financement, en dehors des subventions ?
La billetterie joue un rôle essentiel, mais elle ne suffit pas. Le soutien des sponsors privés et des mécènes reste indispensable pour un événement culturel de l’envergure du Festival d’El Jem. Il est crucial d’avoir des partenaires qui continuent à croire en la culture et au patrimoine tunisien.
C’est pourquoi je lance un appel à tous ceux qui partagent cette conviction. Malheureusement, cette année, nous avons dû faire face au retrait de deux sponsors historiques qui sont la Poste tunisienne et Tunisie Télécom. À ce jour, aucune explication ne nous a été communiquée et nous restons dans l’attente d’un éventuel retour de leur part.
Heureusement, un autre mécène, l’UIB, nous accompagne cette année encore et nous apporte un précieux soutien qui nous permet de poursuivre l’aventure malgré les difficultés.
Le Festival s’est spécialisé depuis sa création dans la musique symphonique. Nous avons remarqué que vous avez intégré d’autres genres, ces dernières années. Est-ce un changement de politique ou une réponse, à la demande du public ?
C’est à la fois une réponse à la demande du public et une adaptation aux contraintes budgétaires. Les orchestres symphoniques comptent souvent plus d’une centaine de musiciens, ce qui représente un coût considérable. De l’autre côté, nous essayons de suivre les tendances à l’échelle mondiale et d’être en phase avec les nouvelles expériences musicales. Actuellement, la musique symphonique est fusionnée avec d’autres genres.
On parle aujourd’hui de rap symphonique, de hip hop symphonique.. Nous souhaitons donc être plus ouverts pour élargir notre public. Ces initiatives ne signifient en aucun cas que le festival va changer d’identité. Il faut reconnaître que les passionnés de musique symphonique «pure» restent peu nombreux. L’objectif est, en effet, de séduire les amateurs d’autres styles musicaux, tout en leur faisant découvrir notre festival et la richesse de l’univers symphonique d’une manière générale.
Cette année, par exemple, Mohamed Ali Kamoun propose une collaboration originale avec un orchestre symphonique. Hassen Doss, quant à lui, interprète un répertoire éclectique, du classique au contemporain, toujours avec un accompagnement orchestral. Nous aurons aussi un spectacle de musique orientale et tunisienne interprété par une troupe canadienne.
L’année dernière, un autre festival s’est tenu à El Jem, pendant la même période. Il s’intitulait « El JemTghani ». Une nouvelle édition est-elle prévue cette année ?
Non. Ce festival a été organisé l’an dernier pour répondre à une demande locale. Les habitants d’El Jem ont parfaitement le droit de profiter du site historique pour découvrir d’autres styles musicaux en dehors de la musique symphonique. On ne peut pas leur imposer un genre unique.
Ces initiatives s’inscrivent dans une démarche d’ouverture, encouragée et soutenue par l’association du Festival International de Musique Symphonique. Elles visent à diversifier l’offre culturelle tout en valorisant ce site exceptionnel. L’amphithéâtre d’El Jem appartient à tous les habitants de la ville et il est important qu’ils puissent s’y reconnaître et y vivre des expériences artistiques variées.
Vu le cadre exceptionnel du site historique, un certain prestige a toujours été associé au Festival International de Musique Symphonique d’El Jem. Cette image est-elle toujours d’actualité ?
Oui, et elle ne cesse de se renforcer au fil des années. De nombreux artistes expriment le souhait de se produire sur la scène de l’amphithéâtre d’El Jem même s’ils ne sont pas nécessairement issus du milieu de la musique symphonique. Cela témoigne du prestige et de l’aura que ce lieu continue d’exercer.
Le seul frein reste parfois le coût de certaines prestations qui dépasse nos capacités budgétaires. Je tiens à souligner que l’amphithéâtre d’El Jem, classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979, mérite d’être davantage investi sur le plan culturel. Il devrait accueillir une diversité de manifestations artistiques, au-delà du cadre strictement symphonique. Mais, pour cela, il est indispensable de doter le site d’infrastructures logistiques modernes à la hauteur de son potentiel afin d’y organiser des événements de haut niveau dans des conditions optimales.
Quelles sont les dispositions prévues pour faciliter l’accès du public au festival, notamment en matière de transport ?
Pour la majorité des spectacles, des bus sont mis à disposition. Nous avons également négocié un accord avec la Sncft afin de prévoir des trains pour les soirées où une forte affluence est attendue. Au final, tout dépendra de la demande du public comme il n’est pas envisageable de mobiliser un moyen de transport si le nombre de spectateurs intéressés est trop faible. Un taux de remplissage raisonnable est nécessaire. Toutes les informations pratiques concernant le transport et les modalités de réservation sont disponibles sur notre site officiel.
Certains spectacles comme « La nuit des chefs» et «24 parfums» ont été joués au cours de l’année sur d’autres scènes et sont encore en tournée. Qu’est-ce qui pourrait encourager le public à faire le trajet pour les voir à El Jem particulièrement ?
C’est le cadre qui fait toute la différence. Le charme unique de l’amphithéâtre d’El Jem, sublimé par l’éclairage nocturne, donne à chaque spectacle une dimension particulière. La musique y résonne autrement créant une expérience sensorielle et émotionnelle incomparable. Nous espérons accueillir un public nombreux, idéalement autour de 70 % de la capacité du théâtre. Les spectacles programmés ont déjà rencontré un grand succès lors de précédentes représentations et nous sommes convaincus qu’ils en auront encore davantage à El Jem.
