Données hydriques nationales : Les chiffres de l’eau, ce que les données disent peu

Alors que les barrages affichent un taux de remplissage global de 38,7 %, les autorités publient des chiffres bruts, sans les traduire ni les expliquer. Or, derrière ces données techniques se cachent des réalités complexes. Face à un enjeu aussi crucial que l’eau, le simple affichage statistique ne suffit plus. Il devient donc urgent d’informer autrement, avec transparence et pédagogie.
La Presse — Le taux de remplissage de l’ensemble des barrages s’est élevé à 38,7 % au 5 mai 2025, selon les dernières données publiées par l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri).
Les réserves atteignent désormais 917,047 millions de m³, contre 808,160 millions de m³ l’an dernier, soit une hausse de 13,5 %. Par rapport à la moyenne des trois dernières années, la progression est plus modeste : +6,2 %.
Ces chiffres globaux masquent toutefois de fortes disparités régionales.
Les barrages du nord, qui concentrent à eux seuls 91 % des réserves nationales, affichent un taux de remplissage de 45 %. En revanche, les barrages du centre plafonnent à tout juste 14,1 %, et ceux du Cap Bon à 30,4 %.
Quant aux apports en eau enregistrés le 5 mai, ils se sont élevés à 2,770 millions de m³, presque exclusivement fournis par les barrages du nord. Les utilisations estimées s’élèvent à 1,350 million de m³.
Mais où sont les explications ?
Si ces données peuvent sembler précises et rassurantes, elles restent incomplètes sans analyse. Que signifie exactement « les réserves en eau dans ces barrages ont augmenté de 13,5%, pour atteindre 917,047 millions de m3» ? Faut-il en déduire que l’année hydrique est sauvée ?
L’Onagri se contente souvent de publier des chiffres bruts, sans effort d’explication ni contextualisation. Pourtant, ces chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. Ils nécessitent une lecture éclairée, que seul un travail d’interprétation sérieux peut fournir.
Une pédagogie absente
Cette tendance à publier des chiffres sans les accompagner d’explications devient une habitude dans de nombreuses institutions publiques. Il s’agit souvent de montrer qu’un travail est fait, qu’un suivi existe, mais sans assumer la seconde étape de rendre compte, d’expliquer, d’interpréter.
Le public reste dans le flou. Les journalistes aussi. Car ce n’est ni à l’un ni aux autres de combler seuls les vides d’information. Ce rôle revient aux responsables, aux experts mandatés pour produire ces indicateurs techniques. Or, tant que cette mission d’éclairage ne sera pas assumée, la défiance restera de mise. Ce ne sont pas les chiffres qui sont en cause, mais leur usage tronqué, dépourvu de mise en contexte.
Dans un pays où la ressource en eau devient un enjeu vital, parler de volumes sans parler de besoins, diffuser des pourcentages sans parler de conséquences, revient à détourner le débat. Ce qu’il faut, ce n’est pas plus de chiffres. C’est plus de clarté, plus de transparence, plus de courage aussi dans l’interprétation. Parce qu’informer, ce n’est pas masquer les incertitudes. C’est les nommer, pour mieux y faire face.
Donner des clés de lecture
Pour l’heure, face à ces bulletins hydriques périodiques, l’on ne peut s’empêcher de ressentir une sorte de frustration. Non pas parce que les données sont inquiétantes, mais parce qu’on les livre comme si elles étaient des évidences. Comme si elles parlaient d’elles-mêmes ; 38,7%. Et ensuite ? Si l’on n’est pas ingénieur hydrologue, ni climatologue, que signifient ces chiffres pour la vie quotidienne des usagers que nous sommes ? Ces mètres cubes qui dorment dans les barrages, suffisent-ils à irriguer nos cultures, à remplir nos robinets, à traverser l’été sans restrictions ?
Et l’on s’interroge aussi sur ces barrages, ont-ils été entretenus ? Sont-ils envasés ? Combien de cette eau stockée va s’évaporer avant même d’être utilisée ? Ce sont des questions simples, concrètes, auxquelles aucun chiffre isolé ne répond.
Moralité, lorsqu’une institution publie des données, elle doit le faire avec responsabilité. Publier, ce n’est pas cocher une case. C’est ouvrir une discussion, donner des clés de lecture, assumer la transparence jusqu’au bout. Les chiffres sont importants, bien sûr. Mais sans parole pour les accompagner, ils deviennent une façade. Un écran. Et c’est là, précisément, que se situe le problème. Trop souvent, publier des chiffres devient un moyen de se donner une contenance. De dire : «Nous travaillons». Mais travailler, c’est aussi expliquer, contextualiser, éclairer. Sinon, ces chiffres restent ce qu’ils sont ; secs, bruts, parfois trompeurs. Et nous, de l’autre côté, nous restons dans le flou.