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Tunis, capitale du livre : Une édition maîtrisée avec l’avenir en ligne de mire

  • 5 mai 17:10
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Tunis, capitale du livre : Une édition maîtrisée avec l’avenir en ligne de mire

La Foire internationale du livre de Tunis s’est achevée sur une note d’enthousiasme et de maturité. Inauguré par le Chef de l’État, Kaïs Saïed, l’événement, porté par la ferveur du public, la forte présence des jeunes et une ouverture affirmée sur le numérique, confirme son rôle central dans le paysage culturel.

La Presse —La 39e édition de la Foire internationale du livre de Tunis (Filt) a baissé le rideau, hier, dimanche 4 mai, au terme de dix jours d’une intense activité littéraire et culturelle. Si un an la sépare de «l’âge de raison», cette édition a pourtant témoigné d’une vitalité exceptionnelle et d’une maturité organisationnelle qui forcent le respect.

Avec plus de 110.000 titres présentés, 313 exposants (dont 107 tunisiens et 166 étrangers) et 29 pays représentés, sans compter une trentaine d’institutions publiques tunisiennes, la Filt s’est imposée une fois de plus comme un rendez-vous incontournable du paysage culturel maghrébin et méditerranéen. Un budget de 1,8 million de dinars a été alloué à cette édition, placée sous le slogan «Nous lisons pour construire», affirmant la conviction du rôle du livre comme pilier de développement culturel et citoyen.

Cette édition a mis en lumière les nouveaux défis du secteur, notamment la migration vers le contenu littéraire numérique, désormais perçu comme un levier d’accès à la culture, de formation du lectorat et d’élargissement des métiers du livre. Un axe de travail devenu central pour accompagner les mutations du monde de l’édition et renforcer la place du livre dans l’univers numérique.

La Chine à l’honneur : traditions et technologies

Invitée d’honneur, la Chine a marqué les esprits par la richesse de sa participation. Son pavillon de plus de 500 m² a accueilli plus de 100 personnalités, écrivains, intellectuels et éditeurs venus de tout le pays, représentant 40 maisons d’édition. Le programme culturel chinois a mis l’accent sur les technologies numériques et l’intelligence artificielle, au croisement des savoirs traditionnels et des innovations les plus contemporaines. Conférences, débats, ateliers et spectacles artistiques ont permis au public de découvrir des facettes méconnues de cette culture millénaire.

Le jeune lectorat, priorité affirmée

Une attention particulière a été portée aux enfants et aux jeunes lecteurs. 255 manifestations leur ont été dédiées, ainsi que 50 visites organisées en partenariat avec les délégations régionales pour faire venir des élèves de l’intérieur du pays. Ces efforts témoignent d’une politique volontariste pour réconcilier la jeunesse tunisienne, où qu’elle se trouve, avec la lecture, souvent concurrencée excessivement par les écrans et les distractions numériques.

Une «Muslimania» au cœur de la foire

L’un des moments forts fut sans conteste la journée du 1er mai, marquée par une affluence record à l’occasion d’une séance de dédicace du célèbre auteur saoudien Oussama Muslim. Dès les premières heures de la matinée, plusieurs centaines de jeunes ont afflué pour obtenir une signature de leur idole. Ce phénomène, une véritable «Muslimania», a offert une image réjouissante : celle d’une jeunesse tunisienne vibrante, avide de littérature et capable de patienter des heures pour rencontrer un écrivain.

Mais à la ferveur de l’événement a succédé, un instant, une tension palpable. En pleine effervescence, au milieu de cette marée de lecteurs venus célébrer la littérature, quelques voix se sont fait entendre. Des jeunes, brandissant le drapeau palestinien, ont interpellé Oussama Muslim, l’hôte de la Tunisie, pour dénoncer avec vigueur la position politique de son pays, l’Arabie saoudite vis-à-vis de la cause palestinienne. Une scène inattendue, empreinte de tension, qui a quelque peu terni l’atmosphère de l’événement. 

Il est des gestes qui disent le désarroi d’une génération. L’émotion est là, sincère, souvent à fleur de peau. Mais la Foire du Livre est un espace de dialogue, de rencontre et de respect. Gâcher cet espace, même par indignation, revient à affaiblir une cause pourtant noble. De plus, aussi inébranlable soit-elle, la solidarité historique des Tunisiens envers le peuple palestinien ne doit en aucun cas se faire au détriment des intérêts nationaux de notre pays. Les élans irréfléchis et les déstabilisations régionales n’ont jamais permis de faire avancer cette cause. Bien au contraire.

Une culture vivante, un pacte à renouveler

Cet incident ne saurait cependant occulter l’essentiel. La Filt, par son ampleur et son engagement, confirme qu’en Tunisie, le livre reste vivant, désiré, porteur d’élan collectif. Cette édition a montré un pays qui continue de croire en la culture comme outil de construction individuelle et de cohésion sociale. Un pays qui, malgré les vents contraires, n’a pas renoncé à l’idée qu’un enfant qui lit est déjà un citoyen en devenir.

C’est peut-être là le plus bel enseignement de cette 39e édition ; dans un monde bousculé par le vacarme et l’instantané, le livre demeure un refuge silencieux, un phare dans la tempête, un vecteur discret mais puissant de lien et d’unité. Cette effervescence partagée, cette foule d’anonymes venus feuilleter des pages, tendre un livre à signer ou simplement s’asseoir pour écouter une lecture, nous rappelle que la culture ne s’impose pas. Elle se vit, elle se transmet, elle se conquiert – surtout lorsqu’elle est portée avec autant de constance et de soin par celles et ceux qui ont rendu le succès de cet événement possible. Voir renaître, chez tant de jeunes comme de moins jeunes, cet appétit vibrant pour la lecture et cet attachement sincère au livre nous insuffle une conviction profonde ; malgré les doutes, malgré les secousses, c’est bien dans cette direction que nous devons continuer d’avancer.

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Hella Lahbib